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Avertissement : sur cette page, vous trouverez des articles écrits par des amoureux du texte.  Pas  de  simples notifications  de  lecture, mais des textes  qui  disent  pourquoi l'auteur de l'article a  aimé  le  livre. Lorsque l'article aura été publié en revue,  cela  sera mentionné. Les articles  qui  seront  répertoriés ne tiendront pas  compte de  la chronologie, qui n'a que peu de valeur à  mes yeux, mais   seront  choisis en fonction de la  pertinence de l'analyse et  de la qualité littéraire  du  texte.  La page sera nourrie progressivement en fonction de mes recherches et du temps qu'il me sera loisible d'y consacrer.
Karmina Vltima

Une recension élogieuse sur Babelio par le poète Alain Fleitour


https://www.babelio.com/livres/Pratx-Karmina-Vltima/1357904/critiques/2887808

Un Choc, Un Ailleurs, Une Marche, un Poème épique, Un livre singulier, KARMINA VLTIMA un événement.
C'est sur un Haïku du poète japonais Issa que s'ouvrent les textes de Philippe Pratx, s'ouvrent et se referment par ces quelques mots :
                   
Ma maison quand même
cernée du cri des cigales
est restée ouverte
.

La lecture de Karmina a quelque chose d'hypnotique, où l'on rentre dans un état second, habité par une mélancolie profonde et tragique.
L'auteur Philippe Pratx nous propulse à la fin d'un siècle pour aller dans le futur, tel le long cheminement de la mémoire, ou celui d'un esprit souvent au bord du vide. C'est à peine un chemin bien défini, même si le thème central est la longue marche effectuée par l'un des derniers survivants de cette Afrique du Congo, le dernier Mangbetu.

LE LIVRE COMME une entrée dans UN MONDE FUTUR

Les textes de Karmina forment comme un objet non identifiable entre la poésie, le récit, la biographie, et les témoignages.
Philippe Tesson avait initié sur son voyages en Sibérie, une forme littéraire singulière. Puis il avait imaginé avec Les Bois Noirs une réflexion poétique et souvent caustique sur la situation des villages traversés.
Ici Philippe Pratx nous propulse sur les chemins de la philosophie, et sur notre propre part de responsabilité, il écrit page 131:

Tes idées sont belles / Sur l'avenir des hommes,
Eh ! Tout ça ce sont de belles paroles
Mais que feras-tu de ma souffrance ?


Philippe Pratx, cible l'inconstance, et nous renvoie à l'exigence de l'humanisme. C'est une poésie faite d'alternances entre les chants, des poèmes, et les dialogues entre lui et le monde, entre le monde et la nature.
Cet objet littéraire me semble prometteur, et même exaltant par sa composition et son originalité. Aussi je pense que cette forme aurait pu m'accompagner quand je cherchais à décliner un monde allant des ténèbres à la lumière.

AU-DESSOUS DU VOLCAN DE MALCOM LOWRY

Comme un long poème musical en prose, Karmina Vltima, porte tous les stigmates de la solitude et du désespoir d'un homme. Énigmatiques et étonnants, les mots sont presque fidèles aux angoisses de Geoffrey Firmin, dans Au-dessous du Volcan, " le tournis à l'intérieur du tournis". l'ensemble Karmina Vltima de Philippe Pratx, forme comme un cercle entre le premier et le dernier chant, comme une danse traditionnelle que l'on reprendrait, pour rentrer en transe.
Cependant, Philippe Pratx ne parle pas seulement d'un homme ancien, mais de celui d'aujourd'hui. Cette longue tirade, transforme le sentiment personnel en une quête plus forte, une démarche initiatique.

Rappelons-leur : leurs mots quand ils les cachent sous d'autres mots. Mettons-les face au mur de leur vision du monde, qui nous mène au néant, rappelons-leur sans faillir qu'ils ont conduit le monde à l'agonie Qu'ils ont brûlé le monde l'ont pillé et détruit Qu'ils ont tout sacrifié des valeurs humanistes, à la soif du profit, à ses satisfactions viles

LE CHANT de la SAINTE NOIRE CHIMPA MVITA , la belle Dona Beatriz

le chant de Chimpa est le chant créateur, et ce chant devient celui de l'auteur.
Ce chant m'apparaît comme la clé de son livre
C'est à cause du Bébé, et puis parce qu'elle était bonne et pure, qu'elle fût exécutée. C'était le deux juillet 1706. Elle brûla sur le bûcher, comme une sorcière.

J'ai écrit ce livre pour ceux qui voyagent par amour. J'ai écrit ce livre dit encore Philippe Pratx pour ceux qui marchent dans l'amour, pour qu'ils créent un abri, et qu'ils puissent aimer la vie.

Et je savais déjà que le Christ était noir
Antoine était mon guide en ses contrées mystiques
Je savais que le Mal me détestait déjà
Et aujourd'hui ils feront feu de mon corps
Mais moi je m'élèverai vers le soleil
Avec la senteur des frangipaniers
Et le cri rauque des lions en rut.
(P 76)

"Il faudrait une pirogue pour traverser mes larmes" car "l'homme est en exil de sa mémoire." (P78)

UN VOYAGE où il RETROUVE ses LIVRES.

Quand il lance page 89 cette nostalgie presque enfantine, « Jamais je n'ai connu la floraison du réséda / Si ce n'est de la lire en des pages de livres » ce sont les souvenirs d'enfant, gravés dans sa mémoire, qui livrent l'origine puissante de son goût pour les mots.
Avant d'établir sa maison, il faut qu'il accomplisse l'ultime confrontation, de son livre à ses lectures passées. Philippe Pratx cite, en vrac :les incunables, le livre plat et rond des Bouchers de Raong, les crachats bourdonnants des Dernières Dynasties, le Livre des Cataractes Sans Fond et le Nécronomicon de Lovecraft...

Oui, la voici, qui me vient par brèves crises, LA NOSTALGIE. "Le souvenir de la bibliothèque participe de ce mal. Et quand il m'arrive– de dire,en gueulant au milieu des foules, les poèmes qui suivent, ce n'est pas tant la morsure des mots que j'en attends, mais la sensation, sous la langue, du grès rose où je les ai décryptés, le picotement qui peu à peu possédait mes narines lorsque je suis resté des nuits à vouloir les reconstituer."

«La Contrerime» de Paul Toulet et « Après la mort de l'artiste » de Jiuseppe Cantarini, sont mes favoris. «  Là, le grain de la roche et le grain de la poussière ne font qu'un avec les mots, je les respire et je les mange autant que je les dis. ».

Comment juxtaposer une prose à ces folles nostalgies ? Seule la lecture des derniers poèmes vous donnera des frissons, au jeu des mots lissés sur les lèvres.

Couché au pied de la murette
Pour y avoir de l'ombre
Le ciel est à l'envers
Comme un rêve où l'on flotte
Parmi les cerisiers


C'est là au fond d'une mine d'Or qu'il rencontre Morel, deux yeux de candeur ensanglantée.

Alors au terme de cette marche folle à l'abri d'un simple tronc, Philippe Pratx établit sa demeure, pour mettre au jour l'enfant qui est en lui, renaître pour un monde meilleur.

C'est donc là, dans la forêt, que j'ai décidé de construire ma maison, vaste tronc creux, et mon jardin (p145)

Oh Quelle audace ! Oui j'aurais aimé avoir cette vision, et assez de ténacité pour la mener.


Karmina Vltima

La préface du livre par le poète Jean-Michel Aubevert

Cri premier


J’ai devant moi le tapuscrit, relève ma propre notation en marge du titre qui en fixe le cadre, un « Karmina Vltima » : les heures du verbe. Et de ses œuvres.
C’est certain, il y a l’écriture, mirobolante, paroxysmique, l’aile et la fiente sous un ciel effondré. Si l’on en croit le sous-titre, on devrait y voir la biographie d’un « dernier Mangbetu », survivant mythique d’une tribu de guerriers africains à l’instar de l’amérindien « dernier Mohican ».

Il se réfère au philosophe Nietzsche dont la citation renvoie à la part de folie qui signe son génie. L’auteur, Philippe Pratx, s’afficherait-il en collapsologue, l’évocateur de fins dernières en marge des extinctions ?

Je cite, au « Chant liminaire », c’est-à-dire au seuil, ce paragraphe :

« Mais c’est une fin de siècle, d’un siècle futur, il y a beau temps que les livres sont morts, et l’univers malade des vivants est une plaie qui se referme (...) Cela sentira l’éternelle paix du vide. »

L’extinction est ce qui guette le philosophe comme le poète, le déraciné devenu étranger à sa propre terre : « Après tout d’autres l’ont fait : je veux dans ce livre dire mes souffrances ».

Comme si, des douleurs d’une culture orale frappée d’obsolescence, devait s’accoucher la voix d’un chant du cygne, ultime signe d’écriture.
L’auteur ne s’y résigne pas. Il y oppose les rémanences vitales des fantasmagories comme, d’un membre amputé, les douleurs fantômes, les picotements, préluderaient à une renaissance onirique.

Tel un fleuve traversé de remous qu’emprunte l’Orphée aux prises de Morphée, le poème se fait passeur de Styx sur le fond d’Édens archaïques, sanglots et perles mêlés aux charmes érudits.

On ne saurait le saisir, seulement se laisser emporter par l’étincellement d’une décadence baudelairienne, de l’ailleurs rimbaldien qui, fuyant toute littérature, présidera à l’Africain sur des monts de la Lune. Je songe encore à ce roman de Zola dont l’héroïne juvénile périt sous un tombeau de fleurs qui sera sa chambre mortuaire.
Le poète est celui qui inspire, m’a murmuré un prince sous l’évocation d’un désert...

Est-ce dans la peau du Blanc – du « toubab » – que la mort se présente au Nègre présumé sauvage et désordonné, quand, de sa propre condition il se fait le nègre ? Alors, revivons dans sa peau, tatoués de jungles verdoyantes, confrontés aux coupes rases.

L’enfer vert des colons fut le giron vivace des oralités, d’une foison de vies tenaces. Au « savoir-vivre » du Blanc, à sa courtisanerie, s’oppose la légitimité du natif et c’est encore au défi de la mort que l’on sursaute à se sentir vivant sous la cape du magicien.
On touche par l’écriture à des rivages où se transcendent les naufrages sur des fonds océaniques, à des déferlements dont la phrase longue répercute la vague.
C’est d’un « cerveau travaillé par le rêve » que l’auteur prétend nous ouvrir les sésames comme d’un Pierrot à l’âme lunatique, pétrie d’ancêtres non moins neptuniens.
Enfin, des multiples enfances qu’il s’octroie, au terme d’un livre habité, tantôt hanté, il renaît de sa maison et de sa lignée en conteur, lui-même mythique. Il se veut à la fois, de par ses ancêtres et son inscription dans l’humanité, transgénérationnel, cosmopolite et cosmique.

Je me suis senti, lecteur d’aventure pris en otage, côtoyer les naufrages, confronté au flux tumultueux et mené en bateau par un prestidigitateur trop talentueux, mais si, finalement, c’était une arche ? En tout cas une traversée plus qu’un itinéraire.

On pourrait croire que l’auteur, en quête d’une autre vie sur les pas des anciens dans la jeunesse retrouvée du monde, élève un « tombeau » aux civilisations disparues, aux époques révolues, sur fond d’une nostalgie native.
Les tours jumelles du World Trade Center y croiseraient les pyramides et les bouddhas dynamités de l’Afghanistan au même titre qu’une africanité perdue.

Faut-il y voir l’inspiration prophétique d’une humanité révolue entraînée dans la destruction de sa biosphère à l’instar d’une africanité perdue dans la foulée de son écologie ?

Plus que tout, l’auteur semble appréhender le racornissement des vies confinées. Au terme de l’ouvrage, comme à la conclusion d’un éternel retour, se rouvre la forêt native, tout à la fois demeure livresque et expression d’une vie intérieure renouvelée.

« C’est donc dans la forêt que j’ai décidé de construire ma maison, vaste tronc creux, et mon jardin ».

Point de fin sinon l’éternel retour dans l’ouvert :

« Ayant fait mien ce dernier poème :
Ma maison quand même
cernée du cri des cigales
est restée ouverte »
 
Sous le chant des chaleurs
La lande des couleurs

Intailles et camées

                     par Patrick Devaux

Quelque chose de la chute de Rome dans les vers de Michel Van den Bogaerde. C’est que l’auteur, qui peut parfois paraître pour un gentil aquarelliste, a aussi le sens de la révolte :

« Crie la poésie, la vraie, la seule avec laquelle/ Tu ne puisses pas tricher/ Sinon, c’est de la boue, de la bouillie de mots/ Crie ! / Plus fort ! Crie ! ».

Ce premier texte assez long d’un vrai révolté (mais qui sait se tenir…) ne préjuge en rien d’une diversité poétique en creux et en relief alternant magies littéraires douces et assauts justifiés contre injustices révélées historiquement ou socialement.
Lecteur averti, sa plume s’en réfère parfois à de grands auteurs trop peu connus dans leur brillant registre :

« Demoiselles incertaines dans le spleen de Ferré/ Vertes évidemment et balnéaires aussi/ Des songes de Sternberg sur la peau ajusté/ Un pyjama moulant d’un beau ton cramoisi ».

Ce n’est pas par hasard que Michel évoque le brillant auteur de « Sophie, la mer, la nuit », son sens de l’esthétique faisant d’ailleurs également mouche dans ses recueils précédents parus pour la plupart aux éditions Le Coudrier. Sternberg était, comme lui, une sorte de brillant écrivain, rêveur contemplatif se satisfaisant de bonheurs de proximité.
Touche à tout, le poète s’approprie les grands thèmes avec le délicat contre-pouvoir de l’écriture :

« L’écriture ne possède qu’un vecteur:/ L’écrit/ La première rupture/ C’est de naître ».

Les choses simples s’évoquent clairement, l’auteur se satisfaisant de bilans tels qu’ils sont et se veut heureux sans autre justification qu’une vie à vivre au quotidien :

« Le jardin m’est devenu sacré/ Qu’il y vente ou qu’il pleuve/ Que le soleil brutal/ L’arrose de rayons/ Ou que la neige le recouvre ».

Entre camées en doux relief de jeune fille symbolisant sans doute l’inspiration ou la nostalgie dosée et intailles creusant force aile d’oiseau suggérant une chute d’Icare sans crainte, le sablier poétique prend tout son temps. Comme Baudelaire, l’auteur laisse passer les nuages. Les mots coulent de source tel un bonheur tranquille, se méfiant toutefois des « trompe-l’œil trop évidents ».
Une certaine fraîcheur juvénile parcourt le texte quand l’auteur se projette dans une rencontre idéalisée. Mais qui sait s’il n’a pas rêvé de rencontrer la Muse éternisée dans le superbe camée, les photos illustrant le recueil étant travaillées ou retouchées dans un certain saisissement estompé donnant à la Muse mystère et force de Vie.

Aspérités
                     par Patrick Devaux

La poésie inspirée en « état de choc » a ceci de particulier : elle résiste au temps qui, dans le meilleur des cas, lui est bénéfique, une sorte de distanciation inversée s’opérant entre l’écrit et l’objet éventuel de la perte ou du saisissement.
La poésie est peut-être, alors, cet état de choc qui fait escalader l’auteur à mains nues dans ses aspérités :

     « C’est la serrure qui fait exister la porte. Ai-je encore quelque lieu à ouvrir ? ».

En tout cas, le relatif encore jeune auteur ne désespère pas des tentatives. Reste qu’un sentiment d’épreuve ne se transmet pas facilement en baiser offert dans une tentative autre.
Il y a très justement chez l’auteur cette façon d’être au monde avec presqu’une présence innée qui dicte la démarche d’écriture. Je ne sais si on peut, en l’occurrence, parler « d’ange gardien », l’auteur ayant ce regard intérieur qui n’échappe pas aux plus attentifs.
Au fur et à mesure de la lecture du recueil une progression philosophique se rend présente à travers l’encre comme on pourrait parler d’un passe-muraille, avec une vivacité très rocailleuse susceptible d’avoir vocation d’éternité, les traces laissées ayant force de vécu à travers encre et fusain suggérant autant d’indices.
Une sorte de rite de purification passe à la fois par les grands thèmes et la référence aux grands maîtres de la poésie :

     « Elle (l’eau) coulait claire et limpide aussi incompréhensible qu’un poème de Mallarmé, et  cependant si éclatante dans son rythme justifié par la beauté ».

Cette pause vécue par Pascal Feyaerts lui donne conscience de sa lumière intérieure qu’il motive vers l’amour porté à autrui.
Les illustrations de Catherine Berael rejoignent, de concert, la démarche de l’auteur, l’accompagnant avec des aiguilles de temps détournées de leur fonction première, rendant aux heures une lenteur insoupçonnée.
Parfois en relecture de lui-même, l’auteur aime se confronter à sa propre réalité vivant alors une sorte de gémellité. Le cheminement aboutit à une dimension autre quand l’expérience, aspérités vécues à progresser, se satisfait d’un vécu très quotidien car

     « L’arbre le sait/ Les racines n’ont qu’un temps/ Et le soleil nous grandit ».

Une courte et efficace préface de Jean-Michel Aubevert rend bien compte de cette fulgurance d’un état à l’autre et qu’on nomme…poésie !

https://www.areaw.be/pascal-feyaerts-asperites-poemes-ed-le-coudrier-dessins-de-catherine-berael-preface-de-jean-michl-auvevert-2020-16-e/

La Belle me hante
                                  par Philippe Leuckx

Sans doute que Bettelheim Bruno eût fait de ces poèmes entre bête et belle, entre lyrisme aigu et baroquisme enfiévré, ses délices pour puiser au cœur même des mythologies.
Cocteau, aussi, aurait adoré ces « hantises » nombreuses qui se nourrissent de souffles, de fourrures, de mort, de vie, d’une sensualité ressassante comme cette anaphore « me hante » qui vient, comme un métronome, glisser ses paradis au feu des mots !
Tous les quatre ans au Coudrier, la poète gembloutoise donne de ses nouvelles poétiques. Voilà un quatrième livre là, un quinzième depuis « Nue sous un manteau de paroles », c’était en 1980.
Les douze photographies, toutes de flou, de voiles, d’imprécisions, de seins à peine touchés, à peine offerts, nous insèrent dans un monde où l’animalité, l’humanité se redessinent. On ne sait plus quel désir de belle ou de bête nous enjoint ainsi à rechercher l' « ombre ténébreuse », dans cet univers d'« abeilles poudrées de pollen », dans cette « ruche » qui est une vraie « beauté verte », un monde de rêve, de « tache de lumière » qui flambe.
La femme, portraiturée là, lourde de l’enfant, est « une mer comme une mère qui nous porte »; elle doit se défendre des assassins, des « lapideurs », de la haine sourde; elle est comme une « bête » blessée, sans défense.
Que lui reste-t-il? Les mots, « les seins apaisés », la vie qui lui gicle, le « velours/ pour endormir une bête », et, cette solitude, de bête, qui clôt le beau volume.
Oui, la psychanalyse des contes et des fées aurait beaucoup à dire de ce livre de poèmes entre long sommeil, désir, bête qui hante, cœur qui flambe.

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/category/chroniques-de-philippe-leuckx/

La Belle me hante
                                   par Jean-Michel Aubevert

Aux cheveux des anges.
L’espace où son désir se cache, la poète le livre aux soins de l’écriture, griffe la page en sourcier des langueurs. Un chant s’élève où monte, plus vive d’ans, la jeunesse viscérale, recrue de caresses. Demeure la Belle d’entre les cénacles, d’une Bête l’oracle, la morte qui ne peut mourir et pour cela nous hante, intimement reviviscente. Vivre se retrempe des cendres.
Aussi point de nostalgie, d’éloge poussiéreuse, mais la jouissance d’un tourment, au pressoir des vies, la crudité d’une ordalie : le verbe toujours est en herbe, la verve macérée de sève.
Ongles qu’on imagine ciselés, cerclés de lait à la serpe des lunes, l’enfant plante au cœur sa griffe, la poète, sa patte enveloppante.
Tragique, elle puise aux agonies une surenchère de vie, renaît de ses brûlures aux antipodes des arts de l’épure. C’est à « la grande santé » chère à Nietzsche, qu’en appelle sa muse. Des cendres encore chaudes, elle revêt le feu sacré, renaît à vivre au chevet de s’éteindre. Ainsi « la bête pavoise » sous la hantise, arrache des cris, au tourment des naissances, se hausse aux délivrances.
Rien de fade ni d’effacé chez l’auteure. A l’onglet du verbe, elle sangle le poème, langue de velours mais plume acérée. Prodigue de sensations, riche d’émotions, elle est entière et fastueuse.
C’est à une ripaille de mots qu’elle nous convie à nous repaître. Elle est du sang des martyres dont l’âme aux confins des douleurs est frappée par l’extase, transmue en bénédiction l’épouvante.
La « bête endormie » dans la Belle, d’autant plus belle qu’en elle, plus vivante, la bête s’éveille, c’est son secret. Telle l’eau, sa voix nous hypnotise.
Hantise et renaissance des comas :
       
        « odeurs mélangées
          de crypte et d’été pourrissant
          ... » (page27)

        « Elle dormira le temps de réparer
          son corps avec le miel coulant de la ruche ». (page27)

 Ni renoncement, ni résignation. Jusque dans la maladie, elle poursuit un idéal, une utopie de vitalité.
       « Dans le couloir de l’hôpital
         Elle allume les regards »

       « Les béquilles essaient
         une danse tremblante » (page33)
         (...)
       « perchée sur des talons aiguilles » (page33)

Forte de sa féminité, au feu des parfums, elle renaît de ses cendres. Elle est, d’entre les femmes, l’infirmière, l’amante, la parturiente :
       «  ... de celles qui s’ouvrent
          de celles qui poussent,
          expulsent, crient et pleurent de joie » (page35)
 
Aussi bien que la douleur, la joie la saisit :

        « Je suis de celles qui pieusement
          serrent la volupté de demain » (page35)

Est-elle la Belle qui la hante, la Bête qui demeure en charge d’âmes, l’Ève et la Dame ?
Elle est genèse, recrachant haine et mort, ne veut connaître que les poisons voluptueux.
Elle est la parfumée pour être plus que nue. Elle est en pitié des maux dont les hommes se lacèrent, dont ils scarifient l’enfant au berceau de sa mère.
Mais toujours dans l’éternel retour :

        « Le printemps bat des cils
          Les morts se rendorment
          dans le manège d’avril ». (page46)

Le désir de vivre délivre les morts eux-mêmes d’être morts dans le souvenir. Vivre à travers eux nous veille. Elle est reine des abeilles, l’amoureuse intrépide, témoigne de la ruche des temps, de femme en femme, chantre d’une féminité ininterrompue. Elle est fière aède, d’un verbe haut nous confie la fine résille.
Charnelle et fervente, elle a gardé le goût des rituels baroques, de la profondeur des nefs où tonnent les grandes orgues, de leur dramaturgie : les velours, les encens et les piétas incendiaires, l’oratoire, les souffrances qui mènent à la délivrance, toute naissance étant une renaissance, la traversée des douleurs et la résilience lyrique.

Noir comme le melon de Magritte
                                    par Martine Rouhart

Ces longs poèmes/prose poétique sont une invitation au voyage, une déambulation à la fois réelle et rêvée dans le pays de Magritte. Des souvenirs – d’enfance ou un peu moins lointains- remontent, en tout cas ce qu’il en reste, en partie défaits en partie transformés, mais sans doute l’auteur ne le sait-il pas toujours lui-même car ne dit-on pas que les choses sont parfois plus (ou moins) belles à l’intérieur du souvenir…

On feuillette un album d’images, un livre d’heures raconté dans une superbe écriture poétique. Des textes tissés de nostalgies douces, du regret un peu vague de ce qu’on a peut-être laissé passer. Comme le dit Joseph Bodson dans sa préface, « Tout se rattache aux sens, rien qu’aux sens », tout est affaire de sensations enfouies et retrouvées, et tout fait sens, même si c’est bien des années plus tard.
On fera halte à Bruxelles, vue d’une « Petite fenêtre sur Grand-Place/Caravelle flottant entre la vie et moi/Mon deux pièces comme un mille feuilles/Papiers partout/Taches de poèmes aquarellés par les eaux usées/ (…), ensuite, dans les creux ensommeillés des Ardennes où « Chaque tronc couché a sa résonance et sa fêlure ». L’on prendra le train, « Caravane des wagons lourds caracolant entre les paumes des terrils », pour Saint-Ghislain, « Noir comme le melon de Magritte/Noir comme un pays sans grâce ». Bien sûr l’on se posera un moment à Liège, « Rien que des immeubles assis/ Des étages aux rideaux noirs et des autobus filant une laine de vent sur le trop long métier des quais/ (…) Simenon comme un fleuve au-dessus de la ville », ainsi que dans « l’encre indélébile » du pays de Charleroi. L’on atteindra nos lisières, à Charleville… même si « Beaucoup de Charleville ignorent/ (…) /Que de la même eau coulent des gréements différents/(…)/Qu’il n’y a pas d’autre passeur que nous-mêmes/et que c’est toujours soi qu’on traverse de part en part ». L’on terminera le voyage sur les terres de Piétrain aux « Jardins boueux crayonnés de maquis/(…)/Pays de vent/Pays de traces ».

Le livre est un poème d’amour à la Belgique. C’est aussi un voyage dans le temps, un peu mélancolique, méditatif, attachant et riche d’émotions qui, à mes yeux, renvoie d’une certaine manière, aux « voyages du Non-Dit » …

www.areaw.be/michel-joiret-noir-comme-le-melon-de-magritte-preface-de-joseph-bodson-le-coudrier-2020/

Loin des routes agitées
                                   par Philippe Leuckx

La collection Sortilèges , format à l’italienne, accueille les poèmes d’une romancière (« Les fantômes de Théodore », aux Murmures du soir), qui a, par ailleurs,  déjà donné quelques poèmes (aux « Chants de Jane », il y a peu).
Sept aquarelles de l’auteure – fines illustrations d’une nature arborée, dans les teintes automne, fauves ou riantes et vertes de l’été – induisent une lecture des textes proposés : attentives notations à la nature, aux saisons, aux sentiers de baguenaude, aux arbres protecteurs. Mais au-delà de cette observation (où les « ombres » et les « oiseaux » ont leur place), il y a, dans ces brefs poèmes, « une petite voix » qui énonce des instants de nostalgie, ce « vague-à-l’âme » quand il « reste / tant de rêves à cueillir ».
Le passé, regretté; la peur du manque; les « sentes embroussaillées » révèlent une « intranquille » douceur.
Quarante et un textes consignent, « loin des routes agitées », des moments d’écriture, des perceptions, des frustrations vives (« la vie se fatigue si vite/ de ce qui est/ insuffisant »).
L’auteure sait que « la pénombre/ apaise » et il y a, comme au pays de Théodore,  » des fantômes d’oiseaux/ dans des fantômes de cages ».
Personnellement, les textes les plus intenses font l’économie de certaines images (« mon cœur / bat plus fort » ou « Les années ont passé/ si vite », trop entendues), et recèlent une belle mélancolie :

« Le soir vient
et nous cherchons
encore
des nids de clarté » (p.41)

ou
« nous continuons
une inspiration après l’autre
à enjamber
le temps » (p.37)

Martine Rouhart écrit « au bord/ de notre souffle » et engage le lecteur à la suivre, à son rythme, quand « de soi à soi/ on ne sait pas/ s’il faut hâter le pas/ ou ralentir l’allure ».

https://www.areaw.be/martine-rouhart-loin-des-routes-agitees-le-coudrier-2020-preface-de-jean-michel-aubevert/


N'oublie pas que la vie t'aime
                                    par Jean Colette

Elles sont douze, Iris, Lila, Violette et les autres. Racontées dans douze courtes nouvelles qui les font chacune exister comme dans un roman. Iris, qui s’endort au petit matin sur un quai de métro, se voit soudain assaillie par une panthère noire que surveille un vautour, et cela se termine par un café pain au chocolat. Lila, la petite Lila, survit dans les portes qui claquent, une mère hurlante, débordée, un bébé qui pleure, survit dans sa vie rêvée au bord du Nil. Violette, elle, retrouve son ami Mohamed dans les ruelles étroites de Fès, étudie l’arabe, prie comme il faut cinq fois par jour, est heureuse, puis étouffe, sa peau se hérisse et, enfin libre, « respire l’air lumineux du petit matin ».
On ne racontera pas les autres, car il faut que vous découvriez cet univers aux cent facettes, dont, la dernière page lue, on se dit qu’on s’en souviendra très longtemps encore. Un univers où la musique a une importance capitale. Puis surtout les rêves, mais c’est peut-être la même chose. Comme si toutes les aventures bien réelles, extérieures, parfois même triviales, que racontent ces nouvelles se passaient, finalement, à l’intérieur des êtres.
Caroline Bouchoms, actrice et metteur en scène, « poursuit ses recherches » au sein de Danza Duende, qui « ouvre la voie à la danse de la vie ». On ne saurait mieux dire, car son style est vraiment comme une danse. Et ses récits nous font pénétrer secrètement dans un monde où la vie « sent bon comme le citron un peu salé ».

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Le Lac du Bois de la Cambre
                                     par Martine  Rouhart

Roman, récit, songe éveillé, poème onirique, élégie, sonate lancinante, il y a de tout cela dans le livre poétique d’Anne-Michèle Hamesse.
Deux personnages principaux, Tristia et le lac du Bois de la Cambre « aux reflets d’argent », ce lieu presque mythique, intemporel, si bien connu de tous ceux qui ont au moins un temps habité ou travaillé à Bruxelles.
Une grande nostalgie baigne le roman comme une eau pensante, promène Tristia sur les chemins qui bordent le lac. « Rien qu’à se promener le long des rives du lac Tristia a déjà parcouru les paysages de plusieurs de ses vies ». Des réminiscences, des impressions qui passent, la traversent, lui échappent, des regrets vagues et immenses mais qui ne font pas vraiment mal, c’est seulement la vie, c’est comme ça pour Tristia…
On devine chez cette femme des blessures, la douleur d’une trahison amoureuse, des tentations de renoncement, la tristesse de choses disparues ; et celle d’un amour, entrevu il y a bien longtemps et perdu avant de naître.
On ne sait pas si elle les rencontre vraiment, ce jeune homme qui « se tenait à ses côtés sur les rives du lac de Bois de la Cambre, un autre jour, une autre époque de leur vie, une part de leur temps, leur jeunesse » ; et l’homme allongé dans la barque… Les rêve-t-elle seulement tous ces gens, sans doute croisés dans ses anciennes vies ? Tout pour elle est prétexte pour la renvoyer au passé, pour se souvenir, tout s’y relie. Le récit flotte entre réalité et onirisme. Cet avion échoué, étendu comme un oiseau mort dans le parc, cette meute de loups qui traverse les chemins et le cœur de Tristia…
D’un geste de plume, d’une légèreté d’elfe, l’auteure met aussi le doigt sur des dérives de notre société, sur sa dureté, son individualisme ravageur. Comment oublier cette image de l’enfant abandonné dans une poubelle, offrant aux passants un sourire que ceux-ci lui rendent simplement en passant leur chemin ? Un constat triste, un peu amer. « Les espèces se frôlent dans une indifférence totale, attentives à se perpétuer sans un regard ou un cri pour celles qui se détruisent, se suicident et dont nul ne gardera le moindre souvenir ». L’on retrouvera aussi, çà et là au fil de pages, de jolies traces de l’amour qu’Anne-Michèle voue à ces êtres faibles et aux yeux sans piège que sont les animaux.
« Tristia n’arrive pas à percer le mystère des rencontres, pas plus que celui des retrouvailles. Les gens qui se retrouvent de manière fortuite, après des vies, qui décident de reprendre ensemble le cours de leur existence finissent souvent par ne plus se quitter ».
C’est l’histoire d’une longue errance autour du lac. Aux brumes qui montent de « ses eaux parfois scintillantes, parfois glauques, où se dissimule l’Autre Monde » (extrait de la préface de Pierre Morlet), se mêlent fulgurances de souvenirs et questionnements. Une errance qui peu à peu, au gré des rencontres réelles ou rêvées, fait sens, devient redécouverte de soi et quête effrénée. Vers l’amour, le bonheur, l’allégresse, la lumière.
Allegra. Cinquante ans plus tard.

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Partage de la nuit
                                     par François  Baillon

Nous voici dans un moment où notre conscience se laisse glisser vers un autre niveau du monde, à moins qu’à l’inverse elle n’ait enfin le moyen de s’éveiller pleinement à ce monde. Nous voici dans ces instants déterminants où l’aube est sur le point d’apparaître, où le crépuscule est si bien installé qu’il nous place dans le mystère et l’expectative, qu’il nous invite à une observation plus minutieuse de l’espace, qu’il nous met face à quelques questionnements centraux.

C’est l’impression qu’apporte ce très délicat Partage de la nuit de Patrick Devaux qui, dans une langue poétique aussi épurée que suspendue (la disposition graphique elle-même semble faire état d’une suspension, suspension du temps, suspension du geste), nous emmène au sein d’une oscillation entre ombre et lumière, nous conduit à cette frontière incertaine où tentent de se rencontrer le jour et la nuit, où le jour et la nuit s’essayent à un partage des éléments.
Alors surgissent un souvenir piquant (« un insecte s’approcha / d’une douce flamme mais dangereuse / tu l’écartas d’une main d’adieu / en plein été », p.38), des tableaux ciselés dans un temps figé, comme enveloppés d’éternité (« tel un rai de lumière / dans un noir tableau de Soulages / un modeste verre d’eau / suffit à ameuter / toute luminescence », p.26), un lien plus prégnant, plus direct avec l’univers (« pure et belle / nuit étoilée / qui / costumée de galaxies / ressemble à / un jardin à la française », p.13). On peut considérer avoir devant nous une forme parente du haïku, l’expression y est réduite à l’essentiel : grâce à l’effleurement de mots choisis dans leur pure nécessité, avec une grande poéticité, Patrick Devaux parvient à nous en dire beaucoup, et à nous suggérer beaucoup. Du reste, le rapport à l’écriture s’offre ici comme un leitmotiv, avec « ce carnet / d’où je vous écris » qui ponctue régulièrement cette nuit des partages ; et en filigrane, résonnant depuis des strates plus lointaines, comme exprimé à demi-mot, se révèle le manque d’une personne, voire de plusieurs personnes (« l’aube s’approche / qui doucement / se souvient du prénom des fleurs / coupées dans le vase / des amis disparus », p.33). Ce recueil est donc aussi un partage entre le silence et les cris, tel qu’a pu nous l’annoncer le vers mis en exergue d’Yves Bonnefoy : « Le silence est comme l’ébauche de mille métamorphoses ».

Ajoutons que les œuvres de Catherine Berael s’associent parfaitement à l’esprit de Patrick Devaux : l’artiste y fait la part belle aux perspectives en intérieur et aux lumières blanches obliques, y mêlant des couleurs et des éléments avec un regard qui enchante. Car en définitive, comme nous le rappelle le poète lui-même, « nous sommes tous des morceaux du soleil ».

http://www.lacauselitteraire.fr/partage-de-la-nuit-patrick-devaux-par-francois-baillon

L'amour est une géographie intérieure :  Carnets de deuil
                                                                                               par Patrick Devaux

De porcelaine et Partage de la nuit : deux textes en résonnance
                                                                                                par Annie Préaux

Soleils Vivaces : Fleurs de la passion
                                                                par Ghislain Cotton

A nos vallées enfouies  :  interview de Catherine Berael par Patrick Devaux

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